samedi 23 décembre 2017

Samir Amin; Catalogne 2017



SAMIR AMIN ;  24 dec 2017

Catalogne, Espagne, Autriche, Europe ….la dérive

1.     Le chaos qui s’exprime en Catalogne par le partage égal de l’opinion entre
« indépendantistes » et « unionistes » défit la raison. Car chacun des camps est lui-même partagé entre droite néo libérale réactionnaire affichée et gauches davantage sensibles aux conditions déplorables faites aux travailleurs. Certes certains de ces partis de gauche sont ralliés au libéralisme (ce qui constitue une contradiction en soi !) ; mais d’autres sont potentiellement anti capitalistes, même s’ils partagent les illusions – majoritaires en Europe – de la possibilité de « réformer les institutions de l’Union européenne », pourtant construites en béton armé pour que cela soit impossible.
Néanmoins, en dépit de ces différences, les uns et les autres donnent priorité à leur choix « national » (ou mieux « nationalitaire »). Ils sont même disposés à gouverner ensemble une coalition hétéroclite « indépendantiste » ou « unioniste ». Je n’ai entendu qu’un seul participant catalan à ces débats – le représentant de Podemos – oser dire clairement qu’il ne conçoit pas son soutien à une coalition quelconque dirigée par la droite.
L’idéologie dominante est donc parvenue à ses fins : substituer à la priorité d’une conscience sociale (la lutte de classes) la primauté d’autres identités, en l’occurrence nationale. Il s’agit d’une dérive tragique.
2.     Le drame catalan est celui de l’Espagne. A la mort de Franco il paraissait
possible de voir ceux qui avaient défendu la République pendant la guerre civile, sinon prendre leur revanche par la violence, du moins déraciner le franquisme. Mais l’Europe a, à cette occasion, montré son véritable visage réactionnaire : il fallait sauver le franquisme de la débâcle. L’Europe a donc imposé le Roi franquiste, l’adhésion de l’Espagne à l’Otan, l’interdiction d’invoquer même les crimes du fascisme. Il est vrai que, par conviction pour certains et par opportunisme pour d’autres la presque totalité des forces politiques espagnoles ont accepté ces conditions honteuses.
Le franquisme est donc toujours bien vivant et domine la droite avouée. Celle-ci continue à partager avec le franquisme son refus de donner sa place à la diversité des composantes nationales de la société. Rajoy en a donné un bel exemple ! Or pendant la guerre civile la majorité catalane avait soutenu avec une grande résolution la République. Mais elle n’était pas seule à le faire : Madrid républicain en donne le témoignage.
3.     La page du fascisme n’est donc toujours pas tournée, ni en Espagne ni
ailleurs en Europe. Car il ne s’agit pas là d’une « erreur de jugement exceptionnelle » des Européens. La droite qui domine les institutions de l’Union et l’a construite en béton armé pour que son monopole ne puisse pas être remis en question, démontre tous les jours et partout « qu’elle préfère le fascisme au front populaire ». L’entrée fracassante des fascistes aux postes clés du gouvernement en Autriche, aux côtés d’un misérable jeune imbécile de droite choisi à cet effet, en donne un bel exemple. Il n’est pas le seul. L’Europe soutient les fascistes en Ukraine et dans les Etats baltes. Marine le Pen est devenue un personnage fréquentable etc.
Le pouvoir dans le capitalisme contemporain des monopoles est devenu totalitaire. Fondé sur le ralliement libéral des gauches historiques majoritaires ce totalitarisme se manifeste par l’émergence d’un parti de fait unique (celui des monopoles) qui revêt des masques différents et exerce son pouvoir de domination totale et exclusive dans tous les domaines : la gestion de l’économie, celle des médias et de la politique. Ce totalitarisme, encore « soft » est déterminé à devenir dur si les luttes populaires parviennent à remettre en question son monopole.
Cette dérive de la société dans toute l’Europe doit inquiéter et interpelle tous ceux qui en sont conscients ; elle ne présage rien de bon.

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